FUIRE

Matthieu 2, 13 à 18

Jésus a commencé sa vie comme un réfugié. Il n’avait donc pas deux ans qu’avec ses parents ils fuirent vers l'Egypte.
Combien d’autres parmi les personnages bibliques ont fui, furent chassés de chez eux, prirent la route pour trouver une plus juste place ?

Adam et Eve ont dû plier fleurs, fruits et bagages.
Caïn a fui devant sa culpabilité.
Noé a fui la méchanceté des hommes.
Abraham a fui un monde injuste.
Jacob a fui, par peur de la colère de son frère.
Joseph fils de Jacob a fui lui aussi vers l’Egypte contre son gré, ses frères fuiront à leur tour vers l’Egypte quand la période de vaches maigres pointera.
Moïse a fui, plusieurs fois avant l’âge de deux ans également, lors d’un autre massacre des innocents, copie originale de celui d’Hérode.
Plus tard il fuira l’Egypte vers le pays de Madian. Enfin il viendra aider l’ensemble de son peuple à fuir l’Egypte.
Saül a fui la vie, en y mettant volontairement fin, devant la défaite militaire.
David a fui devant Saül.
Elie a fui devant Jezabel.
Jérémie connaîtra l’exil en Egypte à son tour.
Le peuple d’Israël connaîtra l’exil vers Babylone.
Jonas fuira l’appel à prêcher la repentance à Ninive.
Ruth et Naomie fuiront la famine vers le pays de Moab avant de revenir en Judée.
Joseph, Marie et Jésus fuiront donc.
Presque tous les disciples fuiront le jour du Golgotha.
Mais Jésus ne fuira pas devant la mort.

Cette litanie manifeste ce que dit la théologienne suisse Muriel Schmid de la Bible: "un texte écrit par des réfugiés pour des réfugiés", "écrit par des gens qui font l’expérience de l’oppression, de l’errance, des persécutions. Du coup, cela veut aussi dire que ce qui est écrit dans la Bible n’est pas écrit pour nous, qui sommes confortablement installés sur nos terres, dans notre Etat".

Pharaons avant-hier, Hérode hier, Daech, Boko Haram aujourd’hui. L’histoire des exils se poursuit.

Nous aimerions parfois ne pas voir les cohortes de réfugiés. Nous replier derrière nos murs et nos frontières. C’est une autre manière de fuir, en restant sur place à la manière de l’autruche.

La tension entre nomades et sédentaires, fuyants et repliés sur soi, est aussi ancienne que l’humanité.
Peut-être même est-elle à l’origine de toutes les violences, de tous les conflits, incarnée par les figures d’Adam qui ne se satisfit pas de ce qu’il avait, de Caïn le chasseur nomade et Abel le cultivateur.

Cette tension est aussi celle entre les installés et les exilés, entre les accueillants et les accueillis.
Une tension qui n’en est peut-être pas une. Car ne portons-nous pas tous, comme Janus aux deux visages, les deux faces à la fois ?

Nomade et sédentaire ?

Deux visages que l’on trouve justement signifiés par ce mot magnifique "d’hôte". Qui dit à la fois celui qui accueille et celui qui est accueilli. Là est peut-être l’espoir pour notre humanité. Dans ce sens de l’hospitalité bilatérale.

Cette idée traverse toute la Bible : dans l’accueil des trois visiteurs, dans l’exode, repris dans le livre des hébreux (13,2) "N'oubliez pas l'hospitalité car, grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges" ; dans le livre de l’exode (23,9) : "Tu n'opprimeras pas l'étranger. Vous savez ce qu'éprouve l'étranger, car vous-mêmes avez été étrangers au pays d'Égypte... ".

La fuite en Egypte de Jésus, sauvera le sauveur qui nous sauvera. Cela peut nous donner à penser : sauver un seul enfant, c’est sauver l’espérance, c’est sauver le sauveur, n’est-ce pas nous sauver nous-mêmes, sauver l’humanité en nous ?

Un second espoir nous est donné par les récits d’exils dans la Bible. Si nous reprenons la liste de tous les fuyards égrenés plus haut que constaterons-nous ?

La fuite n’a eu pour chacun d’eux qu’un temps. Ils ont tous fini par retourner chez eux, par trouver une Terre Promise. Tous ont été gardés par Dieu. La Bible, écrite par des réfugiés pour des réfugiés, nous parle d’un Dieu qui se préoccupe d’abord de ceux qui fuient

Pensons à la parabole de la brebis perdue. Le berger abandonnera tout son troupeau pour se mettre en peine de la brebis fugueuse. Ou à la parabole du fils perdu qui sera retrouvé

Mais Jésus ne fuira pas devant la mort.

Nous sommes tous tour à tour nomades et sédentaires, en fuite et au repos.

Si la Bible est un texte écrit par des réfugiés pour des réfugiés, elle est aussi pour nous, sédentaires mais qui connaissons des exils intérieurs. Qui pouvons avoir l’impression dans un monde troublé, mouvant, de ne plus nous sentir chez nous, d’être en chemin vers un futur inquiétant, de ne pas savoir ce que l’avenir nous réservera.

Nous sommes tentés de nous soumettre à la figure puissante mais brutale des pharaons, des Hérodes de notre temps.
De prêter l’oreille à ceux qui, sous couvert de la promesse de nous protéger, nous enfermeraient en une Egypte fantasmée.
Par peur devant la mer à traverser devant nous, devant ce futur que nous avons peine à discerner dans la brume matinale qui se lève sur la mer, nous sommes tentés par le repli sur nous.

Ne laissons pas nos cœurs s’endurcir à leur tour, nous deviendrions à notre tour des Hérodes, à craindre la concurrence des visiteurs messianiques annoncés.

Les foules aussi peuvent devenir "Hérodes", comme celles qui crieront à la libération de Barabbas.

Il est nécessaire parfois de savoir fuir, de savoir avancer, de savoir quitter son confort, de savoir changer de vie, de savoir accepter que le monde change. N’ayons pas peur de prendre la fuite, de prendre la route, de laisser faire les changements.

Dieu a béni la fuite d’Adam, de Caïn, de Moïse, et de tous les autres.

Comme le dit le cantique :

  • Confie à Dieu ta route,
    Dieu sait ce qu’il te faut.
    Jamais le moindre doute ne le prend en défaut.
    Quand à travers l’espace,
    Il guide astres et vents,
    Ne crois-tu pas qu’il trace
    La route à ses enfants