LA FETE DES RECOLTES

Exode 23, 16 - Genèse 8, 22 - Psaume 1, 2 à 3 - Actes 14, 16 à 17

La fête des récoltes est l’occasion de se rappeler que « c’est Dieu qui couvre le ciel de nuages, Il prépare ainsi la pluie pour la terre. Il fait pousser l’herbe sur la terre et les plantes pour l’usage des hommes. Il assure ainsi la nourriture du bétail et des petits oiseaux » ( Psaume 147).
Dans bien des églises locales rurales, un « culte des récoltes » est organisé chaque année à l'automne. Mais pourquoi une telle fête ? Dieu est-il présent dans le blé, dans le raisin ou dans les légumes de notre potager ? Le christianisme n'est-il pas une religion qui cherche justement à s'émanciper de la nature et de tout ce qui pourrait ressembler à une religion naturelle ?

 

La fête des récoltes tire son origine dans le contexte cananéen, et ce avant l'arrivée du Judaïsme. Comme les autres fêtes, elle a été reprise et modifiée pour qu'elle ne soit plus une fête païenne mais une fête en l'honneur de Yahvé, du Dieu d’Israël. Il existait alors trois fêtes de récoltes :

  • la fête des Mazzot, le pain non levé, célébrée lors de la récolte de l'orge
  • la fête des moissons du blé, Chavuot, célébrée sept semaines après Mazzot, aussi appelée fête des semaines
  • la fête des tabernacles, Sukkot, fête des récoltes des fruits et du vin. Celle-ci est devenue progressivement « la » fête des récoltes par excellence.

Israël va donner une nouvelle signification à ces trois fêtes. Mazzot, va commémorer la sortie d'Egypte, Chavuot, la révélation de la loi sur le mont Sinaï et Sukkot, le séjour au désert du peuple hébreu avec le don de la manne, en somme la première « récolte » que fait le peuple d’Israël, par la grâce de Dieu qui le sauve de la mort.
Le christianisme reprend à son tour cette tradition en l'adaptant puisque Mazzot devient la fête de Pâques et la résurrection du Christ, Chavuot devient la fête de la Pentecôte. Avec le temps, le christianisme a progressivement pris de la distance avec la création au point de laisser complètement tomber la dernière fête, celle de Sukkot. Or celle-ci, rappelle justement au peuple hébreu que c'est Dieu qui l'a fait sortir d'Egypte et que donc, à travers la précarité d'une simple tente, chacun peut se rappeler que sa vie ne dépend que de Dieu seul.

Alors aujourd'hui, dans notre société moderne et technicienne, remettre à l'honneur la fête des récoltes, est-ce que cela a encore un sens ? N'est-ce pas aussi retomber dans le paganisme et l'idolâtrie ? Je ne le pense pas.

D’une part, parce que avoir de la nourriture, pouvoir être rassasié, ne va de nos jours pas encore de soi. Il suffit de regarder plus au sud, ailleurs dans le monde, par exemple du côté de la corne de l’Afrique, je pense à la Somalie, ravagée par la sécheresse et donc la famine et des épidémies. Il suffit d’allumer la télé pour voir des corps d’enfants d’une effrayante maigreur et des files interminables de gens cherchant à migrer vers des lieux d’aide humanitaire. C’est alors l’occasion de nous rendre compte du lien inextricable entre toutes les économies, toutes les gestions de la terre et de ses ressources, des injustices, des aveuglements et de tous les dégâts causés par une certaine idée du progrès et du développement. Les textes bibliques nous rappellent que la terre nous est donnée en gérance, qu’elle ne nous appartient pas, mais que nous sommes appelés à en prendre soin.
La fête des récoltes peut alors nous rappeler que la nourriture que nous achetons tous les jours ne va pas de soi et nous rendre reconnaissants pour le fait que nous vivions, pour une bonne part d’entre nous, sans souci pour le pain quotidien.

D’autre part, célébrer la fête des récoltes au culte, signifie pour le chrétien plus particulièrement, de retrouver dans les bienfaits que nous obtenons de la nature, l'activité créatrice et bien vivante de Dieu. C’est une manière de mettre l’accent sur la reconnaissance envers Dieu, sur le fait que je reçois la vie d’un Autre. La fête des récoltes peut alors devenir l’occasion non seulement de rendre grâces à Dieu, mais plus largement de lui rendre « gloire ».
L’occasion de la fête des récoltes peut nous mener à une attitude plus générale dans notre vie : au fait de donner de la place à Dieu, littéralement du « poids ».

Nous trouvons le terme « gloire » désuet, utilisé plus seulement qu’au culte, mais en fait la racine du mot hébreu « kabod » signifie « avoir du poids », « en imposer ». Le terme grec « doxa » signifie entre autre « bonne renommé », « honneur », « éclat ».
Rendre gloire à Dieu serait alors une manière de donner de la place, dans nos vies, à l’acte de reconnaissance envers Dieu.
Tout le long de la Bible, et notamment dans l’Ancien Testament, cet attribut de Dieu - la gloire- exprime le respect et la crainte de l’homme devant la puissance de Dieu.
Dans le Nouveau Testament, rendre gloire à Dieu signifie « reconnaître la puissance et la sainteté de Dieu qui est révélée par son fils Jésus-Christ ».

Admettons que nous en sommes bien loin aujourd’hui. Ces termes semblent pour nous aujourd’hui dépourvus de sens. Pourtant c’est le sens de la louange, de ce temps que nous plaçons au début de notre culte, après l’invocation du Saint Esprit, c'est-à-dire la présence de Dieu. Mais la louange de la « gloire » de Dieu nous reste souvent bien abstraite.

Soyons alors plus simples, plus honnêtes aussi : Quand je suis en vacances, à la montagne, en contact avec la nature, quand lors de la nuit des étoiles, je scrute le ciel pour guetter des étoiles filantes, il y a quelque chose qui me touche, qui me dit que tout cela est animé par une puissance infiniment plus grande. C’est ce qu’on appelle la contemplation. Plutôt qu’habités par des certitudes, nous sommes alors mus par l’étonnement, l’émerveillement, le questionnement : comment tout cela se tient ? Quelle organisation ?!
La connaissance scientifique que nous avons aujourd’hui, n’enlève rien à cet émerveillement, au contraire. D’ailleurs, un astrophysicien, par ailleurs chrétien, disait l’autre jour que le grand mystère devant lequel la recherche se retrouve aujourd’hui, c’est l’expansion continuelle et accélérée de l’univers que l’on peut observer aujourd’hui avec des appareils de mesures très performants. L’étonnement et l’émerveillement devant ce mystère sont alors aussi du côté des scientifiques.

La Bible reconnaît en toutes ces merveilles l’empreinte de Dieu et parle alors de la « gloire » de Dieu. Quand Jésus renvoie à la gloire du Père à travers ses paroles et ses actes et avant tout par sa mort et sa résurrection, la gloire est plutôt rendue au Dieu qui agit, qui transforme des destins humains, en guérissant, en libérant et en les appelant à la vie. Il s’agit d’un Dieu dont la puissance (le poids, l’éclat) rayonne dans nos vies : littéralement, ceux qui croient en lui reçoivent l’éclat de sa puissance dans leur vie.

L’apôtre Paul parle très clairement de la gloire de ceux qui suivent le Christ. Pour lui, la gloire des fidèles est étroitement liée à la possession de l’Esprit. C’est pourquoi il invoque l’esprit de Dieu sur eux : « L’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu repose sur vous. » (1 Pierre 4, 14). Ou encore, en 2 Corinthiens 3,18 : « Nous tous qui…réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, toujours plus glorieuse…. ».

En nous tournant vers lui, tous les jours, dans une attitude de reconnaissance pour la vie, pour ses richesses, pour notre nourriture, nous sommes transformés par l’action de Dieu en nous. La gloire désigne alors aussi notre participation à tous les biens que Dieu nous donne.
Et nous pouvons dire avec l’apôtre Paul que nous recevons déjà les prémices (c’est-à-dire les premiers fruits du Royaume).
La fête des récoltes n’est qu’une manière de nous tourner vers Lui, de nous rappeler sa présence puissante et bienveillante, mais elle nous renvoie à une posture essentielle devant Dieu: lui rendre grâce pour la vie qu’il donne, qu’il maintient et qu’il promet encore.

Que l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu repose sur vous !