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- Catégorie : Prédications
- Créé le dimanche 5 août 2018 10:30
- Écrit par Laurence GUITTON
NE MARCHEZ PLUS COMME LES PAIENS
Chers frères et sœurs en Christ,
Voici une salutation communautaire fraternelle que l’apôtre Paul aurait pu vous adresser. C’était son habitude d’écrire aux jeunes Églises chrétiennes, et il est certain que si ses lettres nous sont parvenues, c’est qu’elles étaient en fait conservées, recopiées puis échangées entre paroisses pour être lue au cours des cultes, comme des prédications.
Pourtant, lire et commenter Paul effraye toujours, tant par la difficulté de ses textes, que par le ton moralisateur de ses enseignements ! Il passe bien souvent pour un rabat-joie, un donneur de leçons et ce passage de l’épître aux Éphésiens que nous venons de lire ne dément pas cette réputation. Pourtant il faut lire, et surtout RELIRE Paul. Paul, ou les disciples qui ont perpétué son témoignage car il est maintenant sûr que cet épître aux Éphésiens n’est pas de Paul, mais de la main d’un de ses successeurs, dit de l’École Paulienne. Mais cet auteur respecte la pensée de l’Apôtre car les conseils que nous avons lus sont très proches de ceux que Paul avait prodigué quelques années auparavant dans l’épître aux Galates.
Oui, il nous faut relire Paul, et ne pas battre en retraite sous prétexte que ses textes sont d’une autre époque, dépassés, et qu’ils ne nous parlent plus. Qu’ils n’ont plus rien à nous apprendre. C’est le réflexe que l’ont pourrait avoir en entendant ce passage des Éphésiens. A qui l’auteur (que nous appelleront Paul pour faire simple) destine-t-il vraiment ces conseils ? Qui sont ces païens qu’il fustige ? Ce texte salue-t-il vraiment le comportement exemplaire des chrétiens d’Éphèse, ou dénonce-t-il au contraire des travers dont eux-mêmes ne sont pas préservés ?
La dénomination de « païen » pouvait faire référence à l’époque à plusieurs groupes ethniques et religieux. Il pouvait s’agir des non-israélites, ceux qui ne vivaient pas en Israël, à Jérusalem, ces « peuples des Nations » que Paul était parti évangéliser en Asie et en Europe. Mais notre texte semble plutôt nous désigner ceux qui, juifs ou non-juifs, n’avaient pas embrassé la religion chrétienne. Ceux qui ne faisaient pas (encore) partie de la communauté, les non-baptisés. Et ce qui fait pencher vers cette seconde hypothèse, c’est ce long développement sur cet homme nouveau qui chasse le vieil homme. C’est la définition même de la renaissance offerte par le baptême. Au prime abord, ce n’est donc pas aux chrétiens convertis et baptisés d’hier (ou d’aujourd’hui) que s’adressent ces commentaires sur leur vie de débauche. Et pourtant, cela mérite que l’on y regarde de plus près.
Que reproche-t-on à ces païens, ces inconvertis ? De mener une vie dissolue, une vie condamnable, une vie qui donne libre cours au plaisir et aux inclinaisons de la chair. Jalousie, excès de table, ivrognerie, débauche sexuelle et autres choses semblables : c’est ainsi que Paul les énumère dans l’Épître aux Galates. Il caricature, mais c’est de cet ordre-là. Et il ne faut pas croire, que ces comportements sont instinctifs, qu’ils sont dans la nature humaine. Non, c’est fruit de leur pensée, dit Paul. Leur intelligence est certes obscurcie, leur cœur endurci a perdu toute sensibilité. Ils vivent séparés de Dieu et de la lumière qu’a apporté Jésus par sa Parole. Mais on ne peut pas pour autant nier que ces faits sont des actes réfléchis, qu’ils décident de les accomplirent en leur âme et conscience. Ainsi, ils n’ont pas été séparés de Dieu, ils s’en éloignent par eux-mêmes, ce qui est la définition même, en protestantisme, du verbe « pécher ».
Et cet état de fait nous amène, sans transition, à un autre thème caractéristique de la pensée de Paul, thème qui opposait Paul aux courants gnostiques et mystiques de son époque, et nous a opposé pendant de longs siècles à nos frères catholiques : celui du rôle que joue respectivement la chair et l’esprit, ou le corps et l’âme dans l’accès au salut.
Car de tout temps, on a eu vite fait d’interpréter les écrits de Paul comme disqualifiant le corps, ne laissant à notre âme la possibilité de se rapprocher de Dieu que dans une vie terrestre consacrée, par la prière, ou bien dans notre vie après la mort. Et de penser que notre corps, notre « chair » étaient le lieu de notre perdition, investis par les forces du mal qui nous tentent de toutes les manières. Nous serions esclaves de cette chair, incapables de nous en affranchir par nous même. Et ce serait qu’en étant débarrassés de notre enveloppe charnelle que nous pourrions être sauvés, libérés du péché. En un mot, en mourant et en laissant notre âme s’échapper de notre corps pour revenir à Dieu.
Or ce n’est pas ce que ce texte nous dit ici. Nos actes sont le fruit délibéré de notre volonté, et notre comportement est directement influencé par notre pensée, laquelle peut nous extraire de cette vie mortifère, de cette vie de ténèbres si elle accepte l’éclairage que lui apporte la parole du Christ.
C’est le double sens de l’incarnation de Dieu en Jésus. Dieu s’est fait homme pour partager notre condition humaine, notre condition d’homme faits de chair et d’os. Et il s’est fait homme au milieu de nous pour que sa parole influe non plus seulement à distance sur notre pensée, mais concrètement sur la manière dont elle s’incarne, dont elle se traduit en actes dans nos vies d’être humains.
Lorsque notre texte évoque le baptême comme notre nouvelle naissance, comme notre nouvelle création, il est question que soyons renouvelés « dans notre esprit et dans notre intelligence », et aussi dans notre CORPS. « se dépouiller du vieil homme pour revêtir l’homme nouveau ». Une fois appelés, une fois adoptés par le Père, nos pensées et nos actes changent. Et c’est là un comportement volontaire. Nous ne sommes pas dépouillés, et revêtus par une mystérieuse force extérieure. Nous devons accomplir cela nous même, en puisant la force de le faire dans la parole, dans l’amour et la promesse que nous recevons de Dieu.
C’est la façon qu’a Paul de nous expliquer qu’il est erroné de croire que nous sommes à la merci d’occultes forces du mal, incapables de lutter, pécheurs malgré nous. Erroné de penser, comme le déclare encore parfois l’Église catholique, que le baptême (entre autres sacrements) est un « moyen de salut », une garantie post-mortem de pouvoir vivre, libérés, auprès du Père, du moins si notre vie sur terre reste en accord avec notre statut de baptisé.
Et c’est le sens de la question que je posais dès le début de mon homélie. A quels « païens » s’adresse vraiment Paul ici ? Devons nous, en entendant ce texte, prendre pour argent comptant ses compliments adressés à la communauté des baptisés ? Où ne devrions nous pas plutôt, chacune et chacun, comprendre ici que rien n’est acquis, par le baptême ou par la foi, et qu’individuellement, il reste toujours en nous une part de cette vie païenne que Paul dénonce et que nous devons combattre ?
Je crois que c’est là le propos de Paul qui ne précise pas plus que cela qui sont ces « païens ». Il vient nous dire que si nous sommes, par grâce, pardonnés et sauvés, ce n’est pas de manière définitive lors de notre baptême ou au moment de notre conversion, mais c’est un combat et une victoire de tous les jours. Tous les jours, comme nous nous habillons chaque matin, nous devons faire l’effort de nous mettre nus, puis de revêtir des vêtements appropriés. Et que la tentation est parfois là de vouloir traîner en pyjama toute la journée…
Plus sérieusement, nous sommes par ce texte confrontés à la réalité de ce combat quotidien qu’est la foi et la vie chrétienne. « Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas », écrivait Paul dans sa lettre aux Romains. Notre vie s’inscrit dans le monde ambiant, et vivre en chrétien, installer le Royaume de Dieu n’est pas chose facile. Pourtant cette parole de Dieu, qui s’est incarnée en Jésus, est celle qui doit nous montrer la voie, nous indiquer où est la Vérité, la Vraie vie. Et cette vérité, quand elle est reçue, quand elle s’incarne, nous l’avons lu dans ce passage, produit en nous l’homme nouveau. Un homme nouveau qui fait montre alors de sainteté et de justice. La sainteté qui est la marque de sa relation privilégiée avec Dieu. La justice qui est celle de son comportement fraternel de chrétien avec les autres hommes, au cœur du monde.
Alors oui, cette vie éternelle qui nous est offerte par grâce, cette vie qui nous voit mourir de mille manières, puis renaître au terme des épreuves que nous traversons, cette vie est bien de ce monde. C’est celle que nous vivons, ici et aujourd’hui. Mais ce n’est pas une vie tranquille. C’est une lutte permanente, à la fois combat spirituel, conflit intellectuel et souffrance dans notre chair même. Elle est l’incarnation de cet amour de Dieu, et de cette force qu’il met dans notre faiblesse pour que cette Vie avec un grand V advienne ; que nous ne soyons pas seulement de passage sur terre dans une chair corruptible, mais que nous soyons les acteurs, les sujets de notre existence.
Ne savez-vous pas que votre corps est le sanctuaire du Saint-Esprit, qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et que vous ne vous appartenez pas à vous-même ? Car vous avez été rachetés à un grand prix. Glorifiez donc Dieu dans votre corps et dans votre esprit, qui appartiennent à Dieu. 1 Colossiens 6,19
Voici donc ce que je dis et ce que j’atteste dans le Seigneur : c’est que vous ne devez plus marcher comme les païens, qui marchent selon la vanité de leur intelligence.
Ils ont la pensée obscurcie, ils sont étrangers à la vie de Dieu, à cause de l’ignorance qui est en eux et de l’endurcissement de leur cœur.
Ils ont perdu tout sens moral, ils se sont livrés au dérèglement, pour commettre toute espèce d’impureté jointe à la cupidité.
Mais vous, ce n’est pas ainsi que vous avez appris (à connaître) le Christ, si du moins vous avez entendu parler de lui, et si vous avez été instruits en lui, conformément à la vérité qui est en Jésus : c’est-à-dire vous dépouiller.
A cause de votre conduite passée, de la vieille nature qui se corrompt par les convoitises trompeuses, être renouvelés par l’Esprit dans votre intelligence, et revêtir la nature nouvelle, créée selon Dieu dans une justice et une sainteté que produit la vérité.