SUR NOS CHEMINS ORDINAIRES

Luc 3, 1 à 6 & 15 à 21

Chers frères et sœurs,

Début décembre, avec la période de l’Avent, commence pour les Églises chrétiennes la nouvelle année liturgique. Et avec l’Épiphanie et le départ des rois mages se termine la première période de cette année, la période de l’Avent et de Noël. Aujourd’hui 13 janvier, conformément aux calendriers catholiques et même luthériens, nous célébrons le 1er dimanche dit « ordinaire ». Nous avons rangé les décorations et les crèches. Les festivités sont finies et nous retournons, chacune et chacun, à nos vies ordinaires, à nos occupations ordinaires, à nos chemins ordinaires balisés par des dimanches ordinaires. Des chemins ordinaires que l’on se figure monotones, sans relief, sans surprise. La routine habituelle, quoi ! dirait le perroquet du capitaine pirate de nos albums d’Astérix.

Oui, nous repartons sur nos chemins ordinaires, qui le temps d’un Noël nous étaient apparus aplanis, riants, chaleureux et illuminés. Un temps retrouvé de fraternité, de joie en famille, de bienveillance, de générosité. Un temps qui avait réveillé, l’espace de quelques semaines, notre espoir d’un avenir plus fraternel, plus humain, plus juste, plus charitable.
Mais comme la féerie de Cendrillon s’évanouit aux douze coups de minuit, nous voilà replongés, une fois terminées les dernières galettes, dans la grisaille et la platitude de notre train-train quotidien.

Cette année, souvenez-vous, nous avions placé ce temps de l’Avent sous le signe de l’espérance. Notre veillée et notre culte de Noël se sont fait l’écho des espérances, des souhaits de chacun. Et nous pouvons nous poser la question : faut-il qu’à un jour précis, à une heure précise, cette espérance, qui avait repris vigueur et éclat, s’évanouisse comme disparaît le carrosse de Cendrillon. Quel sens donner à cette parenthèse merveilleuse de Noël ?

Je crois que cette fête est un de ces moments devenus sacrés dans notre société, sacré non pas au sens de religieux, mais au sens de sacro-saints , de rituels. Nous en avons besoin pour nous aider à nous projeter à nouveau, individuellement et collectivement, dans la perspective de temps plus heureux, de temps plus cléments.

Ce temps qui fait mémoire de la naissance de Jésus est comme un mémorial qui nous remet à l’esprit la promesse que cette naissance incarne, un temps qui nous aide à raviver l’espoir de jours meilleurs et à reprendre force pour la route.

C’est en quelque sorte un rite de passage, comme l’était sûrement aussi ce baptême que proposait Jean. Car nos sacrements, Baptême et Sainte-Cène, sont eux aussi quelque part des rites de passage, des mémoriaux qui viennent incarner et raviver une promesse qui parfois s’évanouit dans l’abstrait de nos paroles, dans la dure réalité de notre quotidien. Ce baptême de Jean-Baptiste, cette plongée dans le Jourdain, qui a aussi un « avant » et un « après »,  figure un passage, celui d’une vie qui symboliquement se termine pour renaître à autre chose.  Et Luc ne nous dit pas que ce Baptême nous octroie le salut, le pardon des péchés. C’est un Baptême EN VUE du pardon des péchés. Il marque le début d’un cheminement avec Jésus qui nous conduira, à sa suite, au pied de sa croix où le salut prendra corps. Ce baptême n’est encore que promesse de salut, comme l’est aussi la naissance de Jésus au jour de Noël.

« Toute chair VERRA le salut de Dieu. » (v. 6) Ce futur qui s’invite dans ce récit au passé nous dit à la fois l’universalité de ce salut (un salut pour tous), son intemporalité (pour toute les générations, passées, présentes et futures). Il est aussi l’annonce d’un salut qui est proche, qui est imminent, mais qui n’est pas encore là. IL VIENT, nous dit Jean-Baptiste en parlant du Messie.

Et faire mémoire de ces temps comme la naissance de Jésus ou le baptême de Jean sont nécessaires pour que l’espérance et la promesse dont ils sont porteurs ne s’étiolent pas.
Nous attendons et espérons certes ce salut comme le peuple attend et se demande même si Jean-Baptiste ne serait pas le Christ. Mais notre attente n’est pas illusoire. Nous restons dépositaires d’une promesse, qui, dans la foi, maintient cette espérance vivante : Toute chair verra le salut de Dieu. Christ va venir et moissonner ce que Jean-Baptiste a semé : il prendra avec lui ceux qui, ayant fondé leur foi dans cette promesse, se mettront en marche à sa suite, comprendront et mettront en pratique son enseignement.
Car c’est cette espérance qui nous met en marche, qui nous guide et qui nous donne l’énergie de poursuivre ce chemin parfois difficile, celui, ordinaire, de notre vie.

Quel sens alors donner à ce baptême de Jean ? Quel est ce baptême de repentance puisqu’il n’est pas celui du pardon des péchés ?
La réponse est comme souvent dans ce petit mot grec, « metanoïa », que nos bibles traduisent souvent par repentance ou conversion. Littéralement, il veut dire penser à rebours, changer de regard sur soi, sur les autres, sur la vie. Voici ce que Jean-Baptiste veut initier avec ce baptême : ce salut promis à tous ne sera visible qu’à condition de changer radicalement d’horizon, de point de vue, de compréhension.
Sur nos chemins ordinaires qui nous semblent parfois tourner en rond, Jean nous  propose de bifurquer radicalement vers un itinéraire bis, vers une bretelle de sortie qui est ce chemin aplani, sans l’ombre d’une montagne : celui sur lequel nous précède Jésus de Nazareth.
Souvenez-vous : les rois mages, eux-aussi, sont repartis de la crèche par un autre chemin...

Et c’est aussi ainsi que nous pouvons comprendre le baptême de Jésus lui-même. Certes il se fait baptiser comme le reste du peuple, et l’on peut y voir la reconnaissance de sa pleine humanité, de son abaissement au rang de tous. Mais il est aussi ce signe qui nous montre la voie à suivre, une autre voie . Il nous faut passer comme lui par cette expérience du baptême, par cette mort et cette résurrection pour prendre ce nouveau départ à sa suite. C’est le sens de ce baptême de conversion. Retourne-toi pour découvrir l’entrée de cette voie que tu n’avais pas vue, change de regard sur ta route. Ce temps ordinaire qui s’ouvre n’est pas un chemin ordinaire s’il est ce chemin que tu découvres et que tu décide d’emprunter à la suite du Christ, à l’écoute de cet enseignement qu’il va te distiller d’aujourd’hui jusqu’à Pâques, jusqu’à l’Ascension et la Pentecôte.

Nous avons, pour beaucoup, été baptisés au temple ou à l’église avec de l’eau comme Jean-Baptiste le faisait. Pour certains d’entre-nous, ce baptême, cette conversion a pris un tour plus personnel, plus spirituel : un appel, une révélation, une renaissance vécue au plus intime de nous-même.
Alors comment ne pas oublier que ce baptême, cette conversion a été pour nous le signe d’un nouveau départ, d’une promesse reçue qui nous a relevé et nous a mis en marche, remplis d’espérance ?

Je crois que la réponse se trouve comme souvent dans les interstices du texte biblique, dans les virgules. Relisons ce passage plus précisément :

« Tout le peuple se faisant baptisé, Jésus fut aussi baptisé ; - Point-virgule -  et, pendant qu’il priait, le ciel s’ouvrit et le Saint-Esprit descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe.
Et une voix fit entendre du ciel ces paroles : Tu es mon fils bien aimé ; en toi j’ai mis toute mon affection. » (Luc 3, 21-22)

Ce point virgule semble nous dire que les deux actions sont distinctes, que le baptême de Jésus, et cette prière pendant laquelle se font entendre ces paroles célestes n’ont pas forcément lieu en même temps.
Et peut-être cela nous invite-t-il à lire autrement ce passage, à regarder autrement ce ciel qui s’ouvre, cette colombe qui descend du Ciel, à entendre autrement cette parole de Dieu.

Ce passage ne nous dit-il pas que Jésus, mais aussi nous tous, pouvons dans l’intimité de notre prière à Dieu, voir s’ouvrir le ciel et entendre ces paroles de Dieu, notre Père ? Que dans le secret de notre relation avec Dieu, cette parole de grâce qui fait de nous une fille, un fils de Dieu ne nous est pas inlassablement répétée. Une parole qui nous redit qu’à ses yeux nous sommes comptés comme justes, pardonnés et libérés. Une parole que l’Esprit, qui s’incarne dans cette colombe messagère, nous redit pour nous redonner foi en l’avenir, raviver notre espérance et nous remettre en marche.

Sur ces chemins ordinaires que nous suivons, comprenons que, comme un GPS recalcule notre route alors que nous nous croyons perdus, ces temps de prière, d’intimité avec Dieu sont de ceux qui nous remettent sur la voie et qui renouvellent, imperceptiblement, la promesse de notre baptême ou l’espérance qui renaît à Noël. En Esprit, ils permettent que soit ravivée notre confiance en l’avenir, notre foi dans le projet que Dieu a pour chacun de nous. Un temps de prière où la lumière de l’Esprit vient à nouveau éclairer notre route.

Sur nos chemins ordinaires, Seigneur, que ta parole qui nous rejoint nous inspire et nous éclaire. Qu’elle soit une lampe à nos pieds, une lumière sur nos sentiers. Pour que demeure ta promesse, celle de notre baptême, et celle de Noël.  Pour que ne s’éteigne pas l’espérance.

Alors nous aussi, nous repartirons par un autre chemin...

                                                                                                                                                                    Amen

 


Luc 3, 1-6 & 15-22

1 La quinzième année du règne de Tibère César, — alors que Ponce Pilate était gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de la Galilée, son frère Philippe tétrarque de l’Iturée et du territoire de la Trachonite, Lysanias tétrarque de l’Abilène.
2 et du temps des souverains sacrificateurs Anne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean, fils de Zacharie, dans le désert.
3 Et il alla dans toute la région du Jourdain ; il prêchait le baptême de repentance, pour le pardon des péchés.
4 selon ce qui est écrit dans le livre des paroles du prophète Ésaïe : C’est la voix de celui qui crie dans le désert :
Préparez le chemin du Seigneur,
Rendez droits ses sentiers.
5 Toute vallée sera comblée,
Toute montagne et toute colline seront abaissées,
Les passages tortueux deviendront droits,
Et les chemins raboteux seront nivelés,
6 Et toute chair verra le salut de Dieu.
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15 Comme le peuple était dans l’attente, et que tous se demandaient intérieurement si Jean n’était pas le Christ.
16 il leur répondit à tous : Moi, je vous baptise d’eau, mais il vient, celui qui est plus puissant que moi, et je ne mérite pas de délier la courroie de ses sandales. Lui, il vous baptisera d’Esprit Saint et de feu.
17 Il a son van à la main, puis il nettoiera son aire, il amassera le blé dans son grenier, mais brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint pas.
18 Jean annonçait la bonne nouvelle au peuple avec beaucoup d’autres exhortations.
19 Mais Hérode le tétrarque, à qui Jean faisait des reproches au sujet d’Hérodiade, femme de son frère, et au sujet de toutes les mauvaises actions qu’Hérode avait commises.
20 ajouta encore à toutes les autres celle d’enfermer Jean dans la prison.
21 Tandis que tout le peuple se faisait baptiser, Jésus fut aussi baptisé ; et, pendant qu’il priait, le ciel s’ouvrit.
22 et l’Esprit Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et il vint une voix du ciel : Tu es mon Fils bien-aimé, objet de mon affection.

(Texte La Colombe)

 

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