VOUS AVEZ DIT MIRACLE ?

 Luc 5, 1 à 11 

Châteaudouble, le 10 février 2018

Chers amis,

Çà-y-est ! Cette fois on-y-est, en plein dedans ! En avançant dans notre lecture de l’Évangile de Luc, nous venons d’entrer dans cette zone nébuleuse et mystérieuse appelée « zone des récits de miracles ». Une zone où notre esprit rationnel convoque notre foi comme pour lui demander « Crois-tu vraiment cela ? ». Un terrain accidenté où nous sommes en droit de nous demander si la mission de Jésus sur notre terre est uniquement d’accomplir des actes surnaturels pour que la foi s’impose à nous, et pour que nous nous inclinions devant la toute puissance de Dieu.

Des miracles, il y en aura d’autres tout au long de cet évangile, jusqu'à la croix et la résurrection.

Alors comment pouvons-nous nourrir notre foi avec ces soi-disant miracles ? Et au final vivrions-nous mieux, croirions-nous plus si nous en étions miraculeusement, à notre tour, les bénéficiaires ? Ou au contraire perdrions-nous la foi si la science parvenait à nous démontrer qu’elle peut, finalement, les expliquer rationnellement ?

« Lorsque le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt » dit une maxime de bon sens populaire. Je partage personnellement ces lectures plutôt modernes qui veulent que ces miracles ne soient en fait que des récits symboliques qui font signe vers autre chose. Nous les lisons, nous nous acharnons à tenter de les expliquer, à en deviner le sens caché comme l’idiot regarde le doigt, alors qu’ils pointent vers autre chose qui est la raison même de leur présence dans le texte. Il faut élargir notre regard.
Dans ce récit, il ne faut pas nous attarder sur l’invraisemblance de cette pêche miraculeuse, mais bien regarder ce qu’il y a autour, l’avant et l’après de cette jetée des filets comme le prologue et l’épilogue d’un enseignement du Christ.

Imaginons d’abord la scène telle que Luc nous la raconte.
Jésus arrive au bord du Lac de Génésareth, en Galilée. Il est poursuivi, encerclé, pressé par cette foule qui le harcèle. Elle a entendu dire qu’il avait fait des choses incroyables : guéri des malades, exorcisé des possédés. Le bouche à oreille a sûrement même exagéré les choses. Et chacun veut s’approcher de lui, le voir, le toucher. Non, ils ne sont pas prêts à s’asseoir sagement en rond pour l’écouter parler. Il veulent de l’extraordinaire, du merveilleux. Ils veulent qu’ils s’occupent d’eux, personnellement, avant tout le monde et tout de suite.

Et n’est-ce pas aussi ce que des générations de chrétiens ont recherché ?
N’est-ce pas aussi ce qu’espère ceux qui croient que prier Dieu, Jésus, Marie, les saints, que faire toutes sortes de pèlerinages et de dévotions est le moyen d’obtenir pour eux une guérison, un pardon, un don miraculeux ?

Que fais Jésus ? Il s’avance vers le bord, il prend une barque et s’aventure sur l’eau. Oh, pas très loin… puisque la foule, massée au bord, peut encore entendre ce qu’il dit. Il y a sûrement encore pied. Mais la foule s’arrête net. En ce temps là, les mers et les lacs étaient des lieux dangereux. On pouvait s’y noyer, perdre la vie. Peu de gens savaient nager. Alors on s’arrêtait au bord. Jusqu'où est-on prêt à se risquer pour suivre Jésus ?

Seul Simon accepte. Il n’a pas peur, lui, vu qu’il est pêcheur. Il est certes fatigué de sa nuit de pêche infructueuse, mais sans doute a-t-il pitié de Jésus, ou se sent il redevable car il faut rappeler que quelques jours auparavant il a guéri sa belle-mère.

Alors Jésus, comme pour éprouver sa confiance, lui dit « avance en eau profonde ». Il n’y a pas plus clair comme invitation : aventure-toi maintenant, avec moi, la où tu n’as pas pied, loin du bord ; là où naviguer devient synonyme de risque : risque de perdre pied, risque de perdre de vue ses repères terrestres, risque de perdre la vie.

Et contre toute attente, Simon accepte. Et il accepte même de remettre ses filets à l’eau, chose qui n’a en soi aucun sens. On ne pêche pas de jour, et on a essayé toute la nuit : rien à faire, ça ne mord pas en ce moment. Il aurait tout aussi bien pu répondre à Jésus « écoute, on est pêcheur sur ce lac de père en fils. Toi, tu es charpentier, alors excuse-moi, je sais mieux que toi ce qu’il est bon de faire ! »

Non, « Sur ta Parole, je jetterai les filets », dit Simon. Parce que tu me le demandes, je le ferai car quelque chose me dit que j’ai confiance en toi. Je sais que ce que tu veux que je fasse est insensé, mais quelque chose me dit que tu ne me le demandes pas pour rien.
Peut-être vous souvenez-vous, vous aussi, d’un jour où votre intime conviction, ou une petite voix à l’intérieur de vous vous a incité à faire quelque chose qui vous paraissait insensé. Et pourtant vous lui avez fait confiance, vous l’avez fait, et aujourd'hui vous savez pourquoi vous l’avez fait, et vous êtes heureux de l’avoir fait.

Car le résultat pour Simon dépasse toute espérance. Cette pêche est tellement énorme, hors-norme pourrait-on dire, qu’un seul bateau, un seul homme ne suffit pas à la ramener au bord.

Comment ne pas y voir la surabondance de la grâce ! Comment ne pas imaginer qu’il y a là de quoi nourrir plusieurs jours Simon, ses collègues et leurs familles, et peut-être même la foule restée au bord !
Et qu’il y en aura peut-être encore pour plus tard ! Cela ne vous rappelle-t-il pas la multiplication des pains, qui suffit à nourrir 5000 hommes et laissa 12 corbeilles de restes ?

Le propos de Luc, je crois, n’est pas de nous montrer Jésus comme un magicien, un homme avec des pouvoirs surnaturels. Ce qu’il nous décrit est là pour nous déplacer. Cette pêche si incroyable, à un moment de la journée où elle est normalement impossible, a pour but de nous faire perdre nos repères, notre logique. Chercher une explication rationnelle, c’est quelque part lutter contre la foi qui, elle, nous engage à croire contre toute logique. Oui, ce jour-là, des hommes et des femmes furent témoins de quelque chose qui défiait toute raison, et qui les a pour certains, converti : Simon, mais aussi Jacques et Jean, ses associés.

Car comment ne pas comprendre alors l’attitude de Simon comme une confession de foi, le récit de sa conversion. Deux indices nous y aident :

- d’abord, Simon s’appelle tout-à-coup Simon-Pierre. Un nouveau nom, comme un nom de baptême. Dorénavant, il sera Pierre, et disciple de Jésus.

- et ensuite, celui qui était monté dans la barque, il l’avait appelé Maître, Rabbi en araméen. C’est à dire un Maître en lecture des écritures, le rabbin qui enseigne la Torah à la Synagogue. Mais en tombant à genoux, il l’appelle alors « Seigneur !».

Il lui dit, « Seigneur, éloigne-toi de moi car je suis un homme pécheur ». Il est saisi d’effroi, de crainte, mais pas de peur. Il reconnaît dans ce qu’il vient de vivre, dans ce qu’il vient de voir, un signe de Dieu. En la présence de Jésus, il a vu, entendu et presque douté de la Parole de Dieu. Et pour un juif, voir Dieu est synonyme de mort, douter de sa Parole est un blasphème impardonnable.

Alors la réponse de Jésus résonne à nos oreilles presque familièrement : N’aie pas peur, ne crains rien… Un peu comme s’il nous invitait à ne pas nous laisser effrayer, abuser par ces miracles. Comme s’il nous invitait à dépasser notre sidération, à regarder plus loin, ce vers quoi tous ces miracles font signe.

Ce qu’ils nous décrivent d’extraordinaire, de hors-norme, en excès de tout, vient nous dire que ce que Dieu nous donne, par grâce, et qui bouleverse et transcende nos vies est ce qui nous est offert en plus de ce qui est ordinaire, quotidien, mesurable. Nous pouvons certes vivre sans croire, sans reconnaître ce que Dieu nous donne, et vivre heureux, satisfaits et longtemps.
Ce que nous recevons et vivons dans la foi, sera toujours en plus, un surcroît, un supplément qui ne remets pas fondamentalement notre vie en question, mais qui vient lui donner quelque chose en plus, qui la libère de ses entraves, qui explose tous ses repères et vient lui donner une autre dimension littéralement incroyable.
C’est d’ailleurs dans ce sens que je vous invite à lire cette dernière partie du récit, ce « désormais, tu seras pêcheur d’hommes » qui a nourri bien des fantasmes.
Peut-on décemment imaginer que se mettre à la suite du Christ, vivre en disciple exige de nous de devenir des prosélytes à grande échelle ? Pouvons nous imaginer convertir nos proches en les appâtant pour mieux les hameçonner ? En lançant des filets et en capturant en quantité et sans distinction tous ceux qui passent, sans leur consentement. Je ne crois pas que Dieu appelle de cette manière.

D'ailleurs, le texte grec ne nous parle pas de pécher, mais de capturer vivant, comme si nous avions à cœur que ceux à qui nous partageons cette bonne nouvelle de l’Évangile n’en meurt pas, mais qu’au contraire il reçoive cette vie en abondance que nous évoquions juste avant.
Je crois sincèrement que Jésus veut simplement dire à Simon que même en devenant disciple, à sa suite et à son service, il continuera à vivre de son métier : la pêche. Et  à plusieurs reprises dans l’évangile, nous verrons Pierre et ses amis reprendre les barques pour traverser le lac, ou se remettre à la pêche.

Cela semble d’autant plus vrai que dans la théologie protestante, appel et vocation à la vie chrétienne, et profession, occupation, responsabilité dans la société ne font qu’un. C’est à travers notre métier, notre travail, mais aussi nos responsabilités de parents, nos engagements sociaux, que nous accomplissons sur cette terre le ministère auquel nous sommes appelés. C’est notre vie telle que nous la vivons dans ce monde qui évangélise et convertit, et non un discours spirituel éludant toute considération matérielle.

Tu resteras pêcheur de poissons, lui dit Jésus, mais c’est justement ta vie, grandie et élargie par cette grâce qui déborde de toute part, qui convertira ton prochain, comme ces deux bateaux croulants sous leur charge ont converti tes collèges Jacques et Jean. Et tu les captiveras, et les rendra plus vivants encore.

Ainsi parlait Paul aux Éphésiens :

C’est pourquoi je fléchis les genoux devant le Père, de qui toute famille tient son nom, au ciel et sur la terre ;
qu’il daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance, par son Esprit, pour que se fortifie en vous l’homme intérieur, qu’il fasse habiter le Christ en vos cœurs par la foi ;
enracinés et fondés dans l’amour, vous aurez ainsi la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur...et de connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, afin que vous soyez comblés jusqu'à recevoir toute la plénitude de Dieu.
À celui qui peut, par sa puissance qui agit en nous, faire au-delà, infiniment au-delà de ce que nous pouvons demander et imaginer, à lui la gloire dans l’Église et en Jésus Christ, pour toutes les générations, aux siècles des siècles. (Ephésiens 3, 14-21)

 Amen


Luc 5, 1 à 11

1 Comme la foule se pressait autour de lui pour entendre la parole de Dieu, et qu’il se trouvait auprès du lac de Génésareth.
2 il vit au bord du lac deux petites barques, d’où les pêcheurs étaient descendus pour laver leurs filets.
3 Il monta dans l’une de ces barques, qui était à Simon, et il lui demanda de s’éloigner un peu de terre. Puis il s’assit, et de la barque il enseignait les foules.
4 Lorsqu'il eut cessé de parler, il dit à Simon : Avance en eau profonde, et jetez vos filets pour pêcher.
5 Simon lui répondit : Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre, mais, sur ta parole, je jetterai les filets.
6 L’ayant fait, ils prirent une grande quantité de poissons, et leurs filets se rompaient.
7 Ils firent signe à leurs compagnons qui étaient dans l’autre barque de venir les aider. Ils vinrent et remplirent les deux barques, au point qu’elles enfonçaient.
8 Quand il vit cela, Simon Pierre tomba aux genoux de Jésus et dit : Seigneur, éloigne-toi de moi parce que je suis un homme pécheur.
9 Car la frayeur l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, à cause de la pêche qu’ils avaient faite.
10 Il en était de même de Jacques et de Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Et Jésus dit à Simon : Sois sans crainte ; désormais tu seras pêcheur d’hommes.
11 Alors ils ramenèrent les barques à terre, laissèrent tout et le suivirent.

Texte Segond, La Colombe