LA TRANSFIGURATION

Luc 9, 28 à 36

Chabeuil, le 17 mars 2019

Chers frères et sœurs,

La transfiguration . Encore un épisode tout aussi énigmatique qu’étrange… Pourtant, les trois évangiles de Matthieu, Marc et Luc nous le rapportent de manière quasiment identique. Et tous le placent à peu près au même moment, après que Jésus ait annoncé une première fois sa passion à ses disciples. Une annonce à laquelle visiblement ils ne comprennent rien !

Aussi si ce texte nous est proposé par les lectionnaires pendant ce temps de Carême, c’est peut-être pour nous inciter à regarder cet événement autrement, à chercher ce qu’il veut vraiment dire, ce qu’il voudrait nous faire comprendre avant que nous prenions la route vers Jérusalem. Quel est véritablement l’identité de Jésus Christ, de ce Dieu qui se révèle ici ?

A la manière dont nous pourrions étudier le tableau d’un peintre, regardons ensemble ce qui s’offre à notre vision dans ces quelques versets.
La référence à Moïse rencontrant Dieu au sommet du Mont Sinaï saute aux yeux ! Et la montagne est justement pour les Hébreux le lieu élevé où Dieu se révèle. Mais cette comparaison ne s’arrête pas là.

On nous dit que l’aspect du visage de Jésus change, tout comme celui de Moïse dont la peau s’était mise à rayonner à son retour du Sinaï. Mais le visage de Moïse ne faisait que refléter la lumière de Dieu qui l’avait touché, tandis que lors de cette transfiguration, le visage et le vêtement de Jésus s’éclairent d’eux-même comme si cette lumière venait de l’intérieur de lui. Jésus ne reflète pas la lumière, il EST la lumière, il EST Dieu.

Jésus lui aussi gravit la montagne en compagnie de ses plus fidèles collaborateurs. Ils rencontrent alors Moïse et Élie, qui symboliquement représentent ici la Loi et les Prophètes. Et le fait que tous trois discutent sereinement de ce qui va se passer quelques semaines plus tard à Jérusalem semble attester que ce sera là que les Écritures vont s’accomplir, et que c’est là le projet de Dieu.

Enfin, il y a la nuée, présence visible de Dieu, et à travers elle cette voix qui s’adresse aux disciples comme elle s’était adressée à Moïse sur le Sinaï. Mais cette voix nous rappelle aussi celle qui se fit entendre le jour du baptême du Christ.

Tous les signes sont rassemblés pour nous indiquer qu’à ce moment précis, Dieu se révèle, Dieu NOUS révèle quelque chose d’important. « Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le ». Oui, écoutez bien ce qu’il vous dit lorsqu’il vous annonce sa passion. Lorsqu’il vous dit « qu’il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands-prêtres et les scribes, qu’il soit tué et qu’il se réveille le troisième jour ? »( Lc 9,22).   Ne comprenez-vous pas ?

Non, les disciples ne comprennent rien, ni ces paroles que leur adresse Jésus, ni ce qu’ils voient sur cette montagne. Ils sont à moitié endormis, à moitié réveillés comme sur le mont des Oliviers, comme incapables se rendre compte de l’intensité de ce qu’ils sont en train de vivre. Et Pierre s’adresse à Jésus en continuant à l’appeler Maître comme un rabbin, comme s’il n’avait pas compris qu’il avait  face à lui le Fils de Dieu.
Et voilà qu’il propose de dresser des tentes comme pour s’installer définitivement dans cette situation, comme si c’était là le point final de l’histoire.

Oui, les disciples ne comprennent pas le message, et comme souvent dans les évangiles, c’est un signe que nous adresse l’auteur pour nous dire que nous qui connaissons la suite, nous qui savons ce qui attend Jésus à Jérusalem, nous avons des clefs pour comprendre se qui nous est véritablement révélé dans cette transfiguration. Et si ce texte nous est proposé pendant ce temps de Carême, c’est justement qu’il est à décrypter à la lumière de la Croix, de la mort et de la Résurrection du Christ.

Voici comment nous pouvons comprendre ce texte aujourd’hui. Cet événement surnaturel qui fait parenthèse dans le récit bien concret de la vie de Jésus est pour nous comme une dernière escale. Un peu comme le brieffing du chef d’expédition au dernier camp de base avant la montée finale vers Jérusalem.  

A cet instant précis, nous sommes invités à contempler le Fils de l’Homme dans la gloire de son règne, et à comprendre ce que sera réellement cette gloire. Ce n’est pas une gloire au sens d’une renommée. Le Messie ne sera pas le glorieux souverain du Royaume de Dieu. Il faut comprendre la gloire dans la traduction de l’hébreu kavod, c’est à dire ce qui est lourd, ce qui a du poids, ce qui fait la densité de son identité. Dans la littérature apocalyptique, le vêtement révèle l’identité profonde de celui qui le porte, et le blanc est la couleur proprement céleste. Oui, Jésus se révèle alors comme étant de nature céleste. Si ce n’était pas vraiment évident jusqu’ici, alors oui ! Il est vraiment le Fils de Dieu. La lumière intérieure qui irradie à travers son visage l’indique aussi, et la voix de Dieu à travers la nuée le confirme définitivement.

Et après s’être entretenu avec Moïse et Elie et être tombé d’accord sur la finalité ultime de sa mission sur terre, Jésus se retrouve seul, comme pour dire que désormais, c’est lui qu’il faut suivre, c’est par lui que la Loi et les Écritures s’accomplissent, mais, et c’est le message central de ce récit, il lui faut pour cela monter à Jérusalem, et passer par la Croix.

Ce qui nous est annoncé ici, et ce que les disciples n’arrivent pas à comprendre, c’est que la manifestation glorieuse du Christ ne sera pas celle qu’ils avaient imaginés, et qu’ils ont crû voir se réaliser devant leurs yeux. La manifestation glorieuse du Christ passe par sa mort et par sa résurrection.
Dieu se révélera à nous dans la faiblesse assumée. Il se révélera certes en Christ, mais à travers sa mort et sa résurrection.

Voilà ! Cette étape que nous venons de vivre au sommet de la montagne n’est pas le point final de l’expédition, l’accomplissement de ce que la Loi et les prophètes ont annoncé. Il nous faut continuer notre route, notre quête, et ne pas non plus imaginer que cette révélation glorieuse sera seulement celle de la résurrection. Il  nous faudra d’abord passer par la Croix, comme Jésus va le faire.

Alors sûrement un peu frustrés comme les disciples pouvaient l’être, nous reprenons notre route vers Jérusalem en compagnie du Christ. Et nous nous posons sûrement cette question : Dieu est-il celui qui se révèle dans les Écritures, est-il ce Dieu, ce Messie tout en majesté dont nous attendons le règne triomphant ? Où est-il plutôt ce Dieu qui se révèle en Jésus-Christ et qui s’abaissera jusqu’à la mort ? Jésus-Christ est-il vraiment ce sauveur sur qui je peux   tout miser, jouer ma vie, en qui mettre ma foi ? Ai-je assez confiance en lui pour le suivre jusqu’au  bout,  là où il veut que je le suive ?

C’est ce que cette étape de la transfiguration est aussi censée nous révéler. Il nous faut, en acceptant de suivre Jésus, renoncer à nos certitudes pour nous ouvrir à la rencontre avec un Dieu tout autre, un Dieu dont la gloire passe par la mort.

En refusant que l’on dresse des tentes et que, somme-toute, on mette un point final à sa mission sur terre, Jésus nous invite à retourner à notre quête, à nos questionnements. Nous n’aurons certainement pas assez de toute une vie pour comprendre toute la signification de sa Passion, de sa mort et de sa Résurrection.

Ce que nous avons cependant entrevu, c’est que l’histoire ne se terminera pas par la glorification en puissance d’un Messie vainqueur, mais par le dévoilement de ce qu’est véritablement la gloire et l’identité du Christ, Fils Bien-aimé de Dieu qui se révélera par la Croix et le tombeau vide.

« Ne fallait-il pas que le Christ souffrit cela ET qu’il entrât dans sa gloire ?», demandera le Christ en chemin aux disciples d’Emmaüs. (Lc 24,26)

Amen

 


Luc 9, 28-36

28 Huit jours environ s’écoulèrent après qu’il eut dit ces paroles, puis Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il monta sur la montagne pour prier.
29 Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage changea, et son vêtement devint d’une éclatante blancheur.
30 Et voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie.
31 qui, apparaissant dans la gloire, parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem.
32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais ils se tinrent éveillés et virent la gloire de Jésus et les deux hommes qui étaient avec lui.
33 Au moment où ces hommes se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : Maître, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. Il ne savait ce qu’il disait.
34 Comme il parlait ainsi, une nuée vint les envelopper, et les disciples furent saisis de crainte, tandis qu’ils entraient dans la nuée.
35 Et de la nuée sortit une voix, qui dit : Celui-ci est mon Fils élu : écoutez-le.
36 Quand la voix se fit entendre, Jésus se trouva seul. Les disciples gardèrent le silence et ne racontèrent à personne, en ces jours-là, rien de ce qu’ils avaient vu.

Texte : Bible Segond "La Colombe"