PÂQUES 2019 : TOUS A BORD DE NOTRE BARQUE-EGLISE

Luc 24, 1 à 12 - Jean 6, 15 à 21

Chabeuil, le 21 avril 2019 - Dimanche de Pâques

Chers frères et sœurs,

Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! C’est l’annonce qui retentit partout en ce jour de Pâques, à commencer par ce matin déjà au pas de Boussières où un petit nombre d’entre-nous s’était retrouvé.
Christ est ressuscité ! Il a été relevé d’entre les morts, ramené à la vie. En proclamant cette résurrection, nous confessons ce qui fait le cœur de notre foi chrétienne. « Si Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votre foi aussi est vaine », écrivait l’apôtre Paul aux Corinthiens. (1 Co 15,14)

Et pourtant, en proclamant qu’il est vraiment ressuscité, nous avons tout dit… et rien dit. Rien dit, et surtout rien vu.

Car qu’y a-t-il à voir en ce matin de Pâques ? Pas grand-chose ! Une pierre roulée, un tombeau vide et grand ouvert, quelques linges plus ou moins bien pliés dans un coin, et dans le cœur des disciples et de ces femmes qui se rendent au sépulcre non pas de la joie, de l’espérance, mais de la peur, de la tristesse, du désarroi, de l’impuissance. Un sentiment d’absence, d’absurdité...

Le texte de l’Évangile de Luc que nous avons lu au début de ce culte, celui de la découverte par les femmes de ce tombeau vide est de ceux que l’on prêche traditionnellement à Pâques. Mais cette courte lecture de l’apparition de Jésus-Christ marchant sur les eaux vous intrigue très certainement. Elle trouve place, en effet, dans l’évangile de Jean, pendant le ministère de Jésus. Elle fait partie du chapitre des signes, des « miracles » de Jésus comme celui des Noces de Canna, de la guérison de l’aveugle-né, de la résurrection de Lazare ou de la multiplication des pains.

Mais nous le savons maintenant, Matthieu, Marc, Luc et Jean, pour écrire leurs évangiles, ont puisé dans divers recueils de paroles et de récits de la vie de Jésus, et des récits de sa passion qui existaient déjà. Ils les ont arrangé, ordonné chacun à leur manière pour construire leur propre histoire du ministère de Jésus. Et les spécialistes du textes biblique n’excluent pas que ce texte de l’apparition de Jésus sur le Lac de Tibériade  ait été en fait, à l’origine, un récit d’apparition du Christ ressuscité, au même titre qu’il est apparu aux apôtres, à Thomas, aux disciples d’Emmaüs.

Et lu ainsi, cet événement prend alors un tout autre sens, plus symbolique, que je vous propose de  découvrir.

Sachant qu’il allait être enlevé et fait roi, Jésus se retire dans les hauteurs, sur une montagne, et laisse les disciples seuls, alors que la nuit tombe…

Jésus s’en va, la nuit tombe, et cette obscurité qui s’installe n’est pas sans rappeler celle qui s’est abattue sur Jérusalem au moment où il expirait sur la croix. Et elle décrit bien aussi le désarroi de ces disciples qui, après avoir vécu, impuissants, la condamnation et la mise à mort de leur Maître, se retrouvent de surcroît face à un tombeau vide. Ils se sentent dépossédés, abandonnés, livrés à eux-mêmes, en proie au doute, à la peur et ne sachant que faire, que penser. Celui qui était la Lumière, qui éclairait leur vie et lui donnait un sens n’est plus. Il est mort, et en plus, il a disparu. Et les voilà désemparés, contraints de se débrouiller seuls. Et leur réflexe plutôt malheureux n’est pas de chercher sur les hauteurs de la montagne où Christ est retiré, mais de descendre vers la rive du lac, de s’embarquer de nuit sur ce qu’il y a de plus dangereux pour les gens de cette  époque : la mer, les eaux noires et profondes du lac de Tibériade. Ils font cap, seuls, vers Capharnaüm, vers un lieu de mémoire où ils se rappellent avoir séjourné avec Jésus. Capharnaüm, lieu d’enseignement, de consolation et de pardon. Un lieu où ils espèrent retrouver la trace, le souvenir de celui qui n’est plus, qui est parti et qui n’est pas revenu.

Et cette barque dans laquelle ils prennent place est elle-aussi tout un symbole, car pour l’évangéliste Jean elle est une représentation de l’Église, de la première assemblée des disciples, mais aussi de notre Église aujourd’hui. Aujourd’hui encore, nous avons à composer avec l’absence de Jésus qui n’est toujours pas revenu, et avec un Dieu à la fois présent et invisible. Et tous à bord de cette barque-Église, nous ramons, nous partons en exploration, mais parfois aussi, avouons-le, un peu à la dérive. Nous sommes à la recherche des traces de cet Absent, nous retournons vers ces lieux de mémoire où nous espérons le rencontrer, le retrouver : la Bible, le culte, le rituel des sacrements : le Baptême, la Sainte-Cène.

Le soir tombe, la nuit vient, les ténèbres sont là et les éléments se déchaînent au beau milieu de ce lac, car les disciples ont déjà fait 25 stades, soit 5 bons kilomètres. Oui, c’est symboliquement au cœur des ténèbres de notre monde que cette barque-Église dérive. Au cœur de ce qui fait la difficulté de nos vies, qui rend complexe notre quête de sens. Là-même où, chahutée par les aléas de nos existences, notre foi tangue et peut chavirer.

Et c’est alors que Jésus apparaît, et s’approche de la barque. Et ils ont peur, car ils ne le reconnaissent pas, tout comme Thomas qui ne le reconnaîtra pas de suite, tout comme les disciples d’Emmaüs qui ne le reconnaîtrons pas avant d’avoir partagé la Cène avec lui. Il est ressuscité, mais il n’a pas repris cette même apparence, ce même visage qui permettrait de l’identifier.

Alors Jésus leur dit, εγω ειμι, qui veut dire en grec, c’est moi, ou JE SUIS. Un JE SUIS qui veut dire je suis toujours vivant, je suis toujours présent. Un JE SUIS qui fait écho au « JE SUIS qui JE SUIS » avec lequel Dieu s’est révélé à Moïse dans le buisson ardent.

Et au cœur de cet Évangile de Jean, cet εγω ειμι résonne aussi comme ces affirmations qui ont jalonné son enseignement :

" Je suis le pain de vie " (6,35) ;
" Je suis la lumière du monde " (8,12) ;
" Je suis la porte des brebis " (10,9) ;
" Je suis le bon berger " (10,11.14) ;
" Je suis la résurrection " (11,25) ;
" Je suis le chemin, la vérité et la vie " (14,6).

En faisant allusion à ces enseignements d’alors, Jésus atteste qu’il est toujours vivant, qu’il est toujours présent, qu’il est toujours à l’œuvre dans nos vies. Que spirituellement il continue de nous nourrir, de nous éclairer, de nous ouvrir un passage vers la Vie, de nous guider, de veiller sur nous et de nous relever.

« εγω ειμι, C’est moi, n’ayez pas peur ! »,  dit-il aux passagers de cette barque-Église. Ne craignez rien, je reste à vos côtés.

Mais ce Jésus qui est venu à leur rencontre ne se laisse pas prendre à bord de la barque-Église. Non, ni Dieu ni Jésus-Christ ne se laissent capturer, enfermer, asservir dans un quelconque culte. Dans de vains rituels, dans des représentations figuratives, des reliques. Ils ne se laissent pas objectiver, cristalliser dans des dogmes et des certitudes. De même qu’il ne sera pas possible à ces femmes d’embaumer son corps et de le conserver enfermé dans ce tombeau pour lui rendre un culte posthume. Soyez-en sûrs, mes amis, le Saint-Sépulcre à Jérusalem, que l’on a restauré à grand frais et inauguré en grandes pompes il y a deux ans pour le « rendre au culte chrétien », ce Saint Sépulcre est un somptueux monument...vide ! Dieu reste à jamais l’Absent, l’invisible, l’insaisissable, la quête incessante et le sujet immatériel de notre foi.

Mais ces deux mots que Jésus prononce, εγω ειμι, JE SUIS, ces mots qui apaisent les disciples et instantanément les amènent avec leur barque en sécurité sur la terre ferme, ces deux mots inaugurent, je le crois, ce nouveau mode de présence et d’action de Dieu parmi les hommes. Dieu qui fut, en Jésus-Christ la Parole faite chair, il est mort et ressuscité, et à ce titre son corps n’est plus. Mais c’est en Parole qu’il continue de demeurer avec nous, qu’il agit dans nos vies. Il s’adresse à nous avec la fragilité et la subjectivité d’une parole humaine. Il nous interpelle avec ces mots qu’il a prononcés tout au long de son ministère, mais aussi à travers les témoignages que nous relisons, génération après génération dans la Bible.
Il se rappelle à notre souvenir par ses gestes et par les paroles d’institution que nous prononçons lorsque nous célébrons la Sainte-Cène ou un baptême.

Oui, Jésus-Christ est ressuscité, il est vivant et c’est la vérité que nous livre ce tombeau vide. Il est vivant et demeure avec nous en Parole.
Ce matin de Pâques nous redit que la résurrection n’est pas l’annulation de sa mort, un retour à sa vie terrestre et charnelle, mais l’entrée dans ce nouveau mode de présence de Dieu.

Et cette constatation n’est pas sans faire écho aux autres apparitions du Christ après sa résurrection. Comme son apparition aux disciples d’Emmaüs, ou celle dont Thomas a été le témoin. Tu réclames des signes concrets pour ancrer ta foi, dit Jésus à Thomas, alors regarde, touche mon corps, mes mains, mes pieds, mon côté... cesse d’être incrédule et devient un homme de foi. Mais Thomas n’avancera même pas la main pour le toucher. Rien que ces paroles, cette voix qu’il reconnaît, cette invitation lui arracheront instantanément cette confession de foi : « Mon Seigneur et mon Dieu ». (Jn 20, 24-28)

"Heureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru", lui répond Jésus. Oui, face à ce tombeau où il n’y a plus rien à voir, heureux ceux qui ne sont pas partis à la recherche de ce corps qu’ils pensaient qu’on avait seulement déplacé, volé, enseveli ailleurs. Heureux ceux qui mettent leur foi, leur confiance dans cette Parole et cette promesse de résurrection qui nous est offerte. Ceux qui, embarqués comme nous dans cette barque-Église, ne cherchent pas la vérité dans le concret d’une preuve de l’existence de Dieu, ou de l’homme-Jésus, qu’ils pourraient ériger en certitude absolue, mais qui se mettent à l’écoute de la Bible et de la Bonne Nouvelle de la résurrection pour y trouver ces paroles qui guérissent, qui relèvent, qui libèrent, qui disent une nouvelle vie toujours possible.

Jésus dit à ces juifs qui avaient cru en lui : " Si vous demeurez dans ma Parole, vous êtes vraiment mes disciples. Vous connaîtrez la vérité, et la vérité fera de vous des hommes libres." (Jn 8,31)

Amen

 


Luc 24, 1-12 - Jean 6, 15-21

Luc 24

1 Le premier jour de la semaine, elles se rendirent à la tombe de grand matin, en apportant les aromates qu’elles avaient préparés.
2 Elles trouvèrent que la pierre avait été roulée de devant le tombeau
3 elles entrèrent, mais ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus.
4 Comme elles étaient perplexes à ce sujet, voici que deux hommes se présentèrent à elles en habits resplendissants.
5 Toutes craintives, elles baissèrent le visage vers la terre ; mais ils leur dirent : Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts
6 Il n’est pas ici, mais il est ressuscité.Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé, lorsqu’il était encore en Galilée.
7 et qu’il disait : « Il faut que le Fils de l’homme soit livré entre les mains des pécheurs qu’il soit crucifié et qu’il ressuscite le troisième jour ».
8 Et elles se souvinrent des paroles de Jésus.
9 Du tombeau elles s’en retournèrent pour annoncer tout cela aux onze et à tous les autres.
10 C’étaient Marie-Madeleine, Jeanne, Marie (mère) de Jacques ; et les autres avec elles le dirent aux apôtres
11 mais ces paroles leur apparurent comme une niaiserie et ils ne crurent pas ces femmes.
12 Mais Pierre se leva et courut au tombeau. En se baissant il ne vit que les bandelettes qui étaient à terre ; puis il s’en alla chez lui, dans l’étonnement de ce qui était arrivé.

Jean 6


15 Jésus, sachant qu’ils allaient venir l’enlever pour le faire roi, se retira de nouveau sur la montagne, lui seul.
16 Le soir venu, ses disciples descendirent jusqu’à la mer.
17 Ils montèrent dans une barque pour se rendre à Capharnaüm de l’autre côté de la mer. Les ténèbres étaient déjà venues, et Jésus ne les avait pas encore rejoints.
18 Un vent violent soufflait et la mer se soulevait.
19 Après avoir ramé environ vingt-cinq ou trente stades, ils aperçurent Jésus qui marchait sur la mer et s’approchait de la barque ; et ils furent dans la crainte.
20 Mais Jésus leur dit : C’est moi, soyez sans crainte
21 Ils voulaient donc le prendre dans la barque, et aussitôt la barque toucha terre là où ils allaient.

Traduction Segond « La Colombe »