QU'EST-CE QUI EMPÊCHE QUE JE SOIS BAPTISÉ ?

Actes 8, 26 à 40

Châteaudouble, le 26 mai 2019

Chers frères et sœurs,

Nous nous souvenons tous de cette instruction du Christ de baptiser toutes les Nations au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Nous la rappelons à chaque baptême.
Pourtant, les récits de baptême ne sont pas nombreux dans le nouveau testament. Il n’y a même pas véritablement de baptême d’enfant. Tout juste nous est-il raconté qu’en certaines occasions, c’est toute une maisonnée qui recevait ce sacrement, soit vraisemblablement aussi les femmes, les enfants et les serviteurs du maître des lieux. Mais ce n’est qu’une supposition.

Et ce récit du baptême de l’eunuque éthiopien est un récit de baptême plutôt méconnu. C’est pourtant celui qui a retenu votre attention, JL. et O., parmi ceux que je vous avais proposé. Et c’est pourquoi nous avons choisi de vous le partager aujourd'hui.

C’est un baptême qui commence par une rencontre incongrue.  Le texte nous le dit, c’est l’Esprit-Saint qui suggère à Philippe, un des premiers disciples de la religion chrétienne, de se rendre sur une route réputée déserte où il croise de manière tout aussi inattendue un homme des plus extravagants. Un africain, un riche éthiopien nous est-il précisé. C’est un eunuque de la Reine d’Éthiopie, homme de confiance, trésorier du Royaume. Il rentre de Jérusalem où il est allé en pèlerinage au Temple. Il y a acheté, certainement à grand prix, un papyrus copié à la main du Livre d'Ésaïe qu’il lit à haute voix, juché sur son char.
Il faisait certainement partie de ce cercle dit « des aspirants- prosélytes », des non-juifs sympathisants de la religion juive et qui étaient admis à participer à certaines cérémonies au Temple.
Mais ils n’avaient pas le droit de pénétrer au-delà de la première cour. On ne pouvait pas devenir juif. On ne pouvait faire partie du peuple élu, des descendants d’Abraham ou de Jacob que par par filiation.

Cet homme lit dans ce rouleau d'Ésaïe le chapitre 53, celui du chant du Serviteur Souffrant. Un texte énigmatique, écrit 700 ans avant la naissance de Jésus, qui décrit le sort d’un homme que tous ont rejeté, et qui se laisse humilier jusqu'à la mort. Une prophétie troublante encore aujourd'hui tant les similitudes sont nombreuses avec le récit de la Passion du Christ. Et c’est à partir de ce texte que Philippe va annoncer la bonne Nouvelle de la mort et de la résurrection du Christ à l’eunuque.

Convaincu, converti devrais-je dire, il lui demande alors le baptême de manière surprenante. Il ne lui dit pas « Peux-tu me baptiser ? » ou « je demande le baptême ».
Il dit simplement à Philippe : « Voici de l’eau. Qu’est-ce qui empêche que je reçoive le baptême ? » Et cette question, je trouve, est toujours d’actualité. Aujourd'hui encore, je reçois des adultes qui demandent le baptême pour eux ou pour leurs enfants, et qui me posent la même question : On voudrait savoir s’il serait possible d’être baptisé, de faire baptiser notre fils, notre fille. Que nous révèle cette interrogation ? Quel doute subsiste encore dans nos consciences ? Y aurait-il toujours cette idée qu’il y aurait des conditions à remplir ? Que nous dit-elle sur la place et la signification du baptême aujourd'hui ?

« Qu’est-ce qui empêche que je sois baptisé ? », demande l’eunuque. Dans un sens on comprends sa question. Il est étranger, éthiopien donc certainement noir de peau. Il n’était pas de descendance juive. Et c’était un eunuque. Je ne vais pas vous faire un dessin, mais quand on sait que la circoncision est la marque que doit porter tout homme juif pour attester de l’Alliance faite par Dieu avec son peuple, vous comprenez que cet eunuque en était exclu. Pour toute ces raisons, il n’avait certainement jamais osé demander à être admis officiellement parmi les prosélytes, ces sympathisants de la communauté juive, par le bain rituel et la circoncision.
Alors il comprend que cette Bonne Nouvelle de Jésus-Christ qui vient de lui être prêchée par Philippe, celle de cet homme qui est mort et ressuscité pour sauver toute l’humanité sans distinction, cette Nouvelle Alliance qu’il a scellé avec tous sans discrimination, juifs et païens… on comprends que pour lui, c’est une libération. Tout ce qui interdisait qu’il soit considéré comme membre de la grande famille de Dieu n’a plus lieu d’être : Qu’est-ce qui empêche que je sois baptisé ? Que je fasse partie du peuple de Dieu ? Plus rien !
Et d’ailleurs la réponse de Philippe parle d’elle-même, ou plutôt sa non-réponse. Il arrête le char et baptise l’eunuque, tout simplement.

Aussi je reviens vers ceux qui, aujourd'hui, se posent aussi cette question : « Qu’est-ce qui empêche que je sois baptisé ? Que mes enfants soient baptisés ? ».

Il y a une ou deux générations, on posait plutôt la question inverse «  Qu’est-ce qui m’oblige à faire baptiser mes enfants ? ». Tradition familiale, rite de passage aux yeux de la société, crainte sur le sort réservé aux enfants qui décéderaient sans baptême ? Depuis quelques décennies, certains on voulu s’affranchir de tout cela en décidant qu’ils préféraient laisser leurs enfants choisir eux-mêmes plus tard leur religion.

Et je dois dire également que, dans certaines Églises chrétiennes, on est revenu sur cette tradition du baptême des nouveaux-nés. Le baptême est une réponse à un appel, c’est un acte de foi. Aussi exigerait-il des candidats qu’ils soient capables de confesser leur foi, et/ou qu’ils aient au préalable suivi quelques années de catéchisme.

L’Église protestante unie de France est par contre une Église qui continue de baptiser les enfants sans y mettre de préalables ou de conditions restrictives. Et je m’en réjouis !

Oui, je suis heureuse de pouvoir accéder à ces demandes au nom de notre Église, mais aussi au nom de l’Église universelle. De pouvoir dire aux parents que théologiquement, bibliquement, humainement, rien n’empêche que leurs enfants, même très jeunes, soient baptisés.

Car pour moi et pour notre Église, cela signifie deux choses. La première, c’est qu’intérieurement, secrètement, quelque chose appelle ces parents à demander le baptême. Et la deuxième, c’est que la grâce de Dieu et son amour pour chaque être humain sont premiers, universels et inconditionnels.

Tout d’abord, il y a cette conviction que l’Esprit-Saint est à l’œuvre, qui vient murmurer au plus intime de nous-mêmes cet appel de Dieu. On ne sait pas l’expliquer, mais quelque part ce baptême n’est pas seulement une formalité, une sorte de rite de passage. Ce baptême a du sens.
On désire que ses enfants fassent eux aussi partie de la grande famille des chrétiens. Et c’est ce qui se dit justement au travers du baptême. Il est une nouvelle naissance, avec de nouveaux parents symbolisés par le parrain et la marraine, avec de nouveaux frères et sœurs que nous devenons tous. Avec un autre Père qui, de tout temps, nous aime comme ses enfants. Si cette foi qui nous anime, même inconsciemment, nous rend heureux, alors c’est notre façon de dire à nos enfants que nous voulons aussi qu’ils naissent à cette vie-là, qu’ils connaissent cette vie-là, et qu’ils soient heureux. Le baptême est notre témoignage public de la confiance que nous avons dans cet amour reçu de Dieu, dans cet amour qui, nous en avons l’intime conviction, fera de nos enfants des hommes libres et bénis en expérimentant à leur tour cette autre vie promise, la vie en Christ.

Et la deuxième raison pour laquelle nous ne saurions refuser le baptême des enfants, c’est que la grâce de Dieu est première. « Nous aimons Dieu car il nous a aimé le premier (1 Jean 4, 19) », est-il écrit dans la première épître de Jean. Tout ce que Dieu nous offre gratuitement, tout ce qu’il désire pour nous n’est soumis à aucune condition. Il ne nous demande pas de pouvoir confesser correctement notre foi, d’avoir une vie irréprochable, d’avoir fréquenté le catéchisme, de savoir réciter nos prières par cœur ou de connaître la Bible sur le bout des doigts. Dieu nous connaissait déjà alors que nous n’étions pas né, et déjà il nous aimait comme ses enfants.
Jésus aussi, est mort et ressuscité, pour qu’à travers cela tout homme puisse être sauvé. Tout homme, cela veut dire tout être humain, quelques soit sa couleur de peau, son sexe, son âge, sa nationalité, la ferveur de sa foi, la droiture de sa vie. « Alors que nous étions encore pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous », disait Martin Luther. Jésus-Christ est mort pour tous, sans restriction. Et la mort et la nouvelle naissance que symbolise le baptême l’atteste : nous sommes tous invités à habiter cette espérance d’une résurrection toujours possible quelles que soient les épreuves que nous traversons dans notre existence.
Oui, Dieu ne saurait mettre de conditions à ce que quiconque reçoive, à travers le sacrement du baptême, le signe de cette Alliance avec lui, dans le Christ et en Esprit.

Alors finalement, qu’est-ce qui empêche que nous, ou nos enfants soient baptisés ? Si ce n’est pas Dieu, alors peut-être est-ce nous... Peut-être nous mettons-nous nous-mêmes des barrières, des interdits : peur du regard de la société sur nos convictions religieuses ? Crainte d’avoir à s’expliquer devant ses pairs, devant le prêtre ou le pasteur, et de devoir expliciter sa démarche et sa foi, une foi souvent encore pleine de doutes et d’interrogations ? Peur d’avoir à réciter un catéchisme que bien souvent on a un peu oublié ? D'avoir à se justifier de ne pas fréquenter le culte ou la messe de manière régulière ? Dieu n’exige rien de tout cela...

Avoir la foi, c’est avoir confiance. Et faire confiance, c’est toujours prendre un risque disait le philosophe Paul Ricoeur. JL., O., en répondant à cet appel intérieur qui vous a fait demander le baptême d’A., vous avez pris sur vous le risque de placer sa vie sous le regard bienveillant d’un tout Autre, qui a des projets de bonheur pour son avenir.

Et comme nous le dit ce récit que nous avons lu, Philippe alors disparaît, et l’eunuque ne le verra plus jamais. Mais il poursuit sa route dans la joie. Sa nouvelle vie de chrétien ne sera sûrement pas simple, en Éthiopie où il sera certainement encore le seul. Les quatre évangiles n’ont pas encore été écrits. Il va lui falloir nourrir sa foi en solitaire, en attendant que des disciples viennent christianiser son pays, et que d’autres chrétiens le rejoignent. Ou peut-être deviendra-t-il disciple à son tour ? Mais il vivra joyeux, de cette joie de Dieu, de cette confiance en Dieu qui irradie, secrètement, au plus profond de nous.

J., O., il se passera encore quelques années avant que vous puissiez expliquer tout cela à A., et qu’il puisse, nous l’espérons, découvrir lui aussi ce Dieu à qui vous l’avez confié. Quelques années avant qu’il confesse à son tour, nous l’espérons, que pour lui aussi, Jésus-Christ est le Seigneur.

Mais chaque baptême que nous célébrons vient nous rappeler, que tous, nous vivons de cette grâce universelle de Dieu. Que ce baptême n’est pas une condition pour en bénéficier. Il n’est que le signe concret que nous donnons à voir pour exprimer au monde que nous mettons dans cette conviction notre confiance, notre foi.
Il est écrit dans l’épître aux Hébreux, « la foi est une ferme assurance des choses que l’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas. (Hébreux 11,1) ». Voilà ce vers quoi le baptême fait signe.

Amen


Actes 8, 26-40

26 L’ange du Seigneur s’adressa à Philippe : « Tu vas aller vers le midi, lui dit-il, sur la route qui descend de Jérusalem à Gaza ; elle est déserte. »
27 Et Philippe partit sans tarder. Or un eunuque éthiopien, haut fonctionnaire de Candace, la reine d’Éthiopie, et administrateur général de son trésor, qui était allé à Jérusalem en pèlerinage,
28 retournait chez lui ; assis dans son char, il lisait le prophète Ésaïe.
29 L’Esprit dit à Philippe : « Avance et rejoins ce char. »
30 Philippe y courut, entendit l’eunuque qui lisait le prophète Ésaïe et lui dit : « Comprends-tu vraiment ce que tu lis ? »
31 - « Et comment le pourrais-je, répondit-il, si je n’ai pas de guide ? » Et il invita Philippe à monter s’asseoir près de lui.
32 Et voici le passage de l’Écriture qu’il lisait :
Comme une brebis que l’on conduit pour l’égorger,
comme un agneau muet devant celui qui le tond,
c’est ainsi qu’il n’ouvre pas la bouche.
33 Dans son abaissement il a été privé de son droit.
Sa génération, qui la racontera ?
Car elle est enlevée de la terre, sa vie.
34 S’adressant à Philippe, l’eunuque lui dit : « Je t’en prie, de qui le prophète parle-t-il ainsi ? De lui-même ou de quelqu'un d’autre ? »
35 Philippe ouvrit alors la bouche et, partant de ce texte, il lui annonça la Bonne Nouvelle de Jésus.
36 Poursuivant leur chemin, ils tombèrent sur un point d’eau, et l’eunuque dit : « Voici de l’eau. Qu’est-ce qui empêche que je reçoive le baptême ? » 
(37)
38 Il donna l’ordre d’arrêter son char ; tous les deux descendirent dans l’eau, Philippe et l’eunuque, et Philippe le baptisa.
39 Quand ils furent sortis de l’eau, l’Esprit du Seigneur emporta Philippe, et l’eunuque ne le vit plus, mais il poursuivit son chemin dans la joie.
40 Quant à Philippe, il se retrouva à Azôtos et il annonçait la Bonne Nouvelle dans toutes les villes où il passait jusqu’à son arrivée à Césarée.

Texte : Traduction Œcuménique de la Bible