DISCIPLES... ET SCOUTS, TOUJOURS !

Luc 10, 1 à 11

Chabeuil, le 7 juillet 2019

Chers amis,

Jusqu’ici les disciples avaient cheminé docilement à la suite du Christ, profitant de son enseignement. Mais tout à coup, changement de programme. Désormais c’est devant lui qu’il les envoie, deux par deux. « Allez, par les chemins, criez mon Évangile », nous venons de le chanter.
Les disciples ne sont plus douze, mais soixante-douze : preuve que le message du Christ fait des émules. soixante-douze, comme les soixante-douze anciens établis par Moïse à la tête du peuple d’Israël. Mais surtout soixante-douze comme les soixante-douze Nations qui, à l’époque de Jésus, étaient censées représenter l’ensemble de l’humanité. C’est urgent ! Le Royaume s’est approché et doit désormais être annoncé à tout le monde, aux juifs comme aux païens.

Sauf que le moins qu’on puisse dire, c’est que cette campagne d’évangélisation n’a pas l’air aisée. On est plutôt en mode kamikaze. « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups ». C’est vraiment pas rassurant !

Que faire de ces instructions du Christ pour nous aujourd’hui ? A quoi doit ressembler notre mission ?

Lorsque j’ai lu ce texte de Luc, un souvenir est remonté à ma mémoire. Je me suis rappelée, il y a une dizaine d’année, lorsque mes enfants rentraient de leurs camps de louveteaux ou d’éclaireurs et me racontaient leur trois jours  « d’explo… »
« L’explo », pour ceux comme moi qui n’ont jamais fait de scoutisme, c’est trois jours où les enfants partent à pied, en autonomie, par groupe de 5 ou 6, sur un itinéraire qu’ils ont choisi.
Trois jours sans adultes, avec le strict minimum : quelques vêtements, un sac de couchage, une tente, une carte et une boussole ! Quelques vivres et quelques dizaines d’euros pour se ravitailler.
Et le soir, avant que la nuit tombe, il leur faut trouver un point de chute pour la nuit, chez l’habitant.
La première fois que j’ai découvert ça, je me suis dit : « Mon Dieu, de nos jours, est-il encore possible de frapper à une porte pour demander l’hospitalité, et d’être accueilli ? »
Mais ce que mes enfants me racontaient me surprenait d’année en année.

Certes, ils essuyaient quelques refus, mais c’est rapidement qu’ils trouvaient une famille qui prêtait un coin de jardin ou un champ pour piquer la tente, ou une grange à foin pour dormir à l’abri. Et souvent, on rajoutait aussi un verre d’eau fraîche, voire une bonne « vraie » douche. On leur ouvrait la cuisine pour cuire quelques pâtes, on rajoutait une boîte de raviolis ou un panier de prunes du jardin pour compléter l’ordinaire. Et le lendemain matin, on glissait un paquet de petits-beurres et des gourdes d’eau fraîche dans le sac pour la route.

Et souvent la conversation s’engageait dans la soirée autour du scoutisme, du mouvement protestant des Éclaireurs Unionistes, et du protestantisme en général, souvent une découverte pour leurs hôtes. Certes, nos bambins de 8 à 14 ans n’étaient pas des prédicateurs chevronnés, mais je crois que de part et d’autre, il y avait beaucoup à recevoir, à apprendre de ce moment inopiné d’hospitalité partagé. Quelque chose se vivait de cet Évangile de l’amour du prochain.

Sauf que le Christ semble être plus radical dans ses instructions : avec lui, c’est pas de sacs, pas de chaussures, pas d’argent sur soi, pas de téléphone portable, ça va de soi ! Ne saluez personne en chemin, ne perdez pas de temps en salamalecs, ces salutations orientales interminables qui ne riment à rien. L’urgence, c’est de trouver LA maison où, le temps d’un séjour, s’écrira une page d’évangile.
Il faut comprendre que ce dénuement que le Christ exige est symbolique, qu’il n’est pas uniquement matériel. Il faut comprendre qu’il nous demande aussi de nous dépouiller mentalement, de nous parer d’humilité. De ne pas arriver en conquérant. Il n’est pas question de frapper à toutes les portes, systématiquement. Il n’est pas question d’une prédication insistante qui doit tout convertir sur son passage.
Et nos scouts, avec leur naïveté et leur candeur, ne sont-ils pas l’exemple de ce que leur naturel et de leur optimisme peuvent toucher et convaincre.

Bien sûr, il faut s’attendre à des refus, certains polis, d’autre qui claquent comme la porte qu’on vous referme au nez ! Mais arrivez toujours avec un message de paix, nous dit le Christ. Si celui qui vous ouvre est disposé à le recevoir, alors cette paix sera communicative, et c’est une belle rencontre qui s’annonce. Une rencontre où secrètement, Christ est présent, qui assiste ses missionnaires. « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux... ». (Matthieu 18,20)

Et si l’on ne donne pas suite, alors « la paix reviendra à vous », et vous repartirez  paisibles, dit Jésus, sans rancœur, sans honte, sans culpabilité. Car je ne vous demande pas de faire des quotas. Je ne vous demande pas de réussir à tous les coups. Secouez la poussière de vos pieds, manière de leur dire que vous êtes déçu qu’on ne vous ait pas reçu, déçu qu’on ne vous les ait pas lavé comme l’exigeait l’hospitalité à cette époque.
Manière de dire qu’ils sont passé à côté d’un moment convivial, fraternel ; d’un moment qui préfigure le Royaume de Dieu. Un moment qui aurait pu les bousculer, voire changer leur vie. Manière de leur dire : « en Christ, ce Règne s’est approché. Il est passé tout près de vous. Il a manqué un mot,  « bienvenue », pour qu’il se révèle à vous. Dommage pour vous.. Une autre fois peut-être… ».

Mais si l’on vous accueille, alors accueillez-vous aussi ce temps de grâce. Prenez ce qu’on vous offre, un repas frugal ou un festin. Et restez tant que Dieu voudra que dure cette rencontre, ce partage. Guérissez les malades qui s’y trouveront ! Non pas des malades comme nous l’entendons médicalement. Mais, en leur offrant de vous accueillir, guérissez ceux qui souffrent des maux de notre siècle : l’indifférence, la peur de l’autre, l’égoïsme, l’avarice, le « chacun pour soi ». Dans cette visite impromptue qui se prolonge, dans ce partage, dans ces mots qui s’échangent, dans la vérité de cette rencontre, laissez affleurer cette confiance, cette espérance qui vous habite, qui vous a mis en route et qui vous a conduit à frapper à cette porte. Laissez transparaître cette confiance, cette foi qui vous émerveille encore, et qu’eux aussi ont besoin de découvrir, pour guérir, et pour vivre.

Alors bien sûr, vous allez me dire : si vous comme moi avons à cœur d’annoncer l’Évangile, ce n’est pas dans nos habitudes d’arpenter les chemins avec notre baluchon en comptant sur l’hospitalité de nos contemporains. Je vous rassure, moi non plus. J’ai d’autres projets pour mes vacances, et dans la vie en général.

Mais alors pourquoi ne pas lire ce texte autrement, en ne perdant pas de vue que c’est ici celui qui accueille qui est évangélisé ? Pourquoi ne pas le relire à la lumière de ce qui se passe par exemple en Église, dans notre paroisse, lorsque de nouveaux visages passent, timidement parfois, la porte du temple le dimanche, ou lorsque des inconnus m’appellent au téléphone et me sollicite pour un baptême, un mariage, des obsèques. Qui sait si ce n’est pas le Christ qui nous les envoie ? Ils n’arrivent pas en terrain conquis, ils nous saluent et se présentent. Alors, bien sûr, nous les accueillons, nous leur offrons ce qui est à notre disposition : le partage de notre temps de culte, une documentation, un rendez-vous, une écoute. Dans ces moments-là où nous témoignons indirectement de notre foi, ne sommes nous pas finalement évangélisés nous aussi ? Surpris, et reconnaissants qu’avec notre peu de force, nos piètres talents de théologiens ou de prédicateurs, nous parvenions par un simple bonjour, un accueil bienveillant, une conversation, une oreille attentive, à mettre l’autre en confiance, à lui donner envie de rester, de revenir. A faire se concrétiser un peu de ce Règne de Dieu que notre Église tente d’incarner sur terre au nom de Jésus-Christ. C’est dans notre faiblesse que Dieu met sa force. C’est dans la simplicité et la vérité d’un accueil fraternel, répondant au dénuement et à l’appréhension de l’autre, que Dieu peut se révéler, à l’un comme à l’autre. N’est-ce pas là une belle invitation à lâcher prise ? Une belle prédication de l’évangile de la grâce.

Quelques versets plus loin, Luc écrit :

« Les 72 disciples revinrent dans la joie, disant : Seigneur, même les esprits mauvais nous obéissent lorsque nous leur donnons des ordres en ton nom ». (Luc 10,17)

Oui, ces disciples revinrent eux aussi convertis. Persuadés d’aller au casse-pipes, ils rentrent encore étonnés que même ceux qu’ils redoutaient le plus ont répondu à leur sollicitation, leur ont ouvert leur porte, les ont écoutés. Lâchés au milieu des loups, les agneaux sont revenus sains et saufs, remplis de confiance et plus forts encore dans leur foi.

Alors non, l’évangélisation n’est pas une expédition commando, une campagne de communication à gros budget, un démarchage en porte-à-porte, au nom du Christ. Elle est affaire de simplicité, d’humilité et de rencontre. Et finalement celui qui évangélise l’autre n’est pas toujours celui qu’on croit.

"Voici, je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui et je prendrai la cène avec lui, et lui avec moi"  (Apocalypse 3,20)

Amen

 


Luc 10, 1-11

1 Après cela, le Seigneur désigna soixante-douze autres disciples et les envoya deux par deux devant lui dans toute ville et localité où il devait aller lui-même.
2 Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson.
3 Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.
4 N’emportez pas de bourse, pas de sac, pas de sandales, et n’échangez de salutations avec personne en chemin.
5 « Dans quelque maison que vous entriez, dites d’abord : “Paix à cette maison.”
6 Et s’il s’y trouve un homme de paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous.
7 Demeurez dans cette maison, mangeant et buvant ce qu’on vous donnera, car le travailleur mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.
8 « Dans quelque ville que vous entriez et où l’on vous accueillera, mangez ce qu’on vous offrira.
9 Guérissez les malades qui s’y trouveront, et dites-leur : “Le Règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous.”
10 Mais dans quelque ville que vous entriez et où l’on ne vous accueillera pas, sortez sur les places et dites :
11 “Même la poussière de votre ville qui s’est collée à nos pieds, nous l’essuyons pour vous la rendre. Pourtant, sachez-le : le Règne de Dieu est arrivé.”

Texte : Traduction œcuménique de la Bible